La vitamine D fait rarement la une des journaux économiques. Pourtant, derrière un simple bilan sanguin « 25-OH vitamine D2/D3 faible », se cache un sujet lourd de conséquences financières pour les systèmes de santé… et pour l’économie au sens large.
Carence banalisée, coûts sous-estimés, prévention négligée : la vitamine D est un cas d’école de ce que la médecine appelle un « petit problème » avec de très grands impacts.
25-OH vitamine D2/D3 : de quoi parle-t-on exactement ?
Quand un médecin prescrit un dosage de vitamine D, ce qu’il mesure réellement, c’est le taux sanguin de 25-hydroxyvitamine D, souvent noté 25-OH D. C’est le marqueur de référence, celui qui reflète les réserves de l’organisme.
On distingue :
- 25-OH vitamine D2 (ergocalciférol) : issue principalement de l’alimentation enrichie ou de certains compléments.
- 25-OH vitamine D3 (cholécalciférol) : produite par la peau sous l’effet du soleil et présente dans quelques aliments (poissons gras, œufs, foie, produits laitiers enrichis).
Les laboratoires regroupent souvent les deux pour donner un taux total de 25-OH vitamine D. C’est ce taux qui est jugé :
- normal (souvent > 30 ng/mL, selon les références),
- insuffisant (environ 20–30 ng/mL),
- carentiel (< 20 ng/mL, parfois < 10 ng/mL pour les formes sévères).
Problème : une énorme part de la population mondiale se situe dans la zone basse du graphique. Et ce n’est pas sans conséquence pour les comptes publics.
Une carence massive et silencieuse : le coût caché des chiffres
Les études convergent : la carence en vitamine D est l’une des plus fréquentes au monde.
Quelques ordres de grandeur :
- En Europe, environ 40 % de la population aurait un taux de 25-OH vitamine D insuffisant ou carentiel, selon plusieurs études épidémiologiques.
- En France, certaines enquêtes de santé publique ont montré que plus d’un adulte sur deux présente un taux jugé trop bas en hiver.
- Chez les personnes âgées en institution, les taux de carence sévère peuvent dépasser 70 %.
Autrement dit, ce n’est pas un problème de niche. C’est un phénomène de masse. Et plus un problème de santé est fréquent, plus il pèse sur les systèmes de santé… même s’il reste souvent sous le radar politique.
Quand un taux de 25-OH D trop bas se transforme en facture médicale
La vitamine D est surtout connue pour son rôle dans le métabolisme osseux. Mais ses effets dépassent largement les os.
Un taux de 25-OH D2/D3 faible est associé à :
- Un risque accru d’ostéoporose et de fractures, notamment du col du fémur.
- Une fragilité musculaire, donc plus de chutes chez les personnes âgées.
- Un risque augmenté de certaines infections respiratoires.
- Une aggravation possible de maladies chroniques (diabète, maladies cardiovasculaires), même si tous les liens de causalité ne sont pas encore parfaitement établis.
Sur le plan économique, ces effets se traduisent par quatre types de coûts :
Les coûts directs : fractures, hospitalisations, médicaments
C’est la partie visible de l’iceberg. Facile à chiffrer, peu contestée.
Carence en vitamine D → densité osseuse réduite → fractures plus fréquentes, surtout chez les seniors.
Or, une fracture du col du fémur, c’est :
- une hospitalisation chirurgicale,
- une rééducation longue,
- parfois un séjour en établissement spécialisé,
- et souvent une perte définitive d’autonomie.
Dans de nombreux pays européens, le coût moyen direct d’une fracture de hanche (hospitalisation + soins post-opératoires) se chiffre en milliers, voire en dizaines de milliers d’euros par patient.
En France, on parle de plusieurs centaines de millions d’euros par an consacrés aux fractures liées à l’ostéoporose, dont la carence en vitamine D est un facteur majeur. Et ce chiffre ne prend même pas en compte le coût social et la perte de qualité de vie.
À cela s’ajoutent :
- les consultations médicales supplémentaires,
- les examens radiologiques,
- les traitements médicamenteux (anti-ostéoporotiques, antidouleurs, compléments),
- les séjours en soins de suite et réadaptation.
Chaque fracture évitable représente potentiellement des milliers d’euros économisés pour l’assurance maladie.
Les coûts indirects : arrêts de travail, productivité, dépendance
Les carences en vitamine D ne concernent pas que les seniors. Un adulte actif, carencé, qui chute, se fracture le poignet ou le col du fémur, c’est :
- des semaines ou des mois d’arrêt de travail,
- une baisse de productivité à la reprise,
- des coûts pour l’entreprise (réorganisation, remplacement temporaire),
- des indemnités versées par les systèmes de protection sociale.
Et au-delà des fractures, la carence peut contribuer à :
- une fatigue chronique,
- une moindre résistance aux infections saisonnières,
- une aggravation de pathologies préexistantes.
Autant de facteurs qui augmentent l’absentéisme et réduisent la performance globale.
Les économistes de la santé parlent ici de « coûts indirects ». Ils sont moins visibles dans les budgets hospitaliers, mais bien réels pour l’économie : PIB réduit, masse salariale moins productive, charges sociales plus élevées.
Les coûts intangibles : qualité de vie, charge sur les aidants
Un système de santé ne se résume pas à une ligne comptable. Une fracture chez une personne âgée, c’est aussi :
- un risque de perte d’autonomie définitive,
- une augmentation du besoin d’aidants familiaux,
- une entrée en institution plus précoce.
Ces éléments ont un coût humain, mais aussi un coût économique :
- temps de travail réduit pour les proches aidants,
- prestations sociales,
- dépenses de dépendance prises en charge (partiellement) par la collectivité.
On touche ici à la frontière entre santé publique et politique sociale. Une « simple » carence en 25-OH vitamine D2/D3 participe à augmenter la charge globale sur ces deux piliers.
Un exemple concret : la fracture de hanche, cas d’école économique
Pour mesurer l’impact, prenons un scénario schématique, mais réaliste.
Imaginons :
- 10 000 fractures de hanche par an dans un pays donné, chez des personnes carencées en vitamine D.
- Coût moyen direct par fracture : 15 000 € (hospitalisation, chirurgie, rééducation, soins infirmiers).
- Coût indirect moyen (perte d’autonomie, soutien à domicile, charges sociales) : 10 000 € supplémentaires par patient sur les années qui suivent.
Bilan approximatif :
- Coût direct total : 150 millions d’euros.
- Coût indirect total : 100 millions d’euros.
- Soit 250 millions d’euros par an pour ces seules fractures liées à des carences non prévenues.
Évidemment, la part exacte imputable à la seule vitamine D est difficile à isoler, puisqu’elle interagit avec d’autres facteurs (calcium, activité physique, génétique, comorbidités). Mais même si on ne retenait qu’une fraction de cette somme, les enjeux financiers restent majeurs.
La prévention par la vitamine D : un investissement à très fort rendement
Face à ces montants, une question s’impose : combien coûterait une stratégie de prévention ambitieuse, comparée aux économies potentielles ?
Les outils sont connus :
- Supplémentation en vitamine D, ciblée sur les populations à risque (seniors, personnes peu exposées au soleil, patients avec certaines pathologies).
- Alimentation enrichie (lait, yaourts, margarines, boissons végétales), comme cela se pratique déjà dans plusieurs pays d’Europe du Nord.
- Campagnes d’information sur l’exposition raisonnable au soleil et les apports nutritionnels.
- Dépistage ciblé des carences via dosage de 25-OH vitamine D2/D3 pour certaines catégories de patients.
Le coût unitaire d’un complément de vitamine D oral (en gouttes, capsules ou ampoules) est très faible comparé au coût moyen d’une hospitalisation. Résultat : de nombreuses études de santé publique concluent que, dans les populations à risque, la supplémentation en vitamine D est très largement « cost-effective ».
En clair : chaque euro investi en prévention permettrait d’économiser plusieurs euros de soins curatifs. Un rendement que beaucoup d’investissements financiers pourraient envier.
Pourquoi les systèmes de santé traînent-ils les pieds ?
Si le calcul est si favorable, pourquoi la carence en vitamine D reste-t-elle si peu priorisée ? Plusieurs raisons se combinent.
- Effet retard : les bénéfices de la prévention se voient sur plusieurs années, alors que les budgets de santé se gèrent souvent à court terme.
- Problème de « champion » : aucune spécialité médicale ne « possède » totalement le sujet vitamine D. Résultat : responsabilité diffuse, priorisation faible.
- Sujet peu médiatique : la vitamine D n’a ni le caractère spectaculaire d’une chirurgie innovante, ni la charge émotionnelle d’un cancer pédiatrique.
- Incertitudes scientifiques sur certains effets extra-osseux : si le lien avec les fractures est très documenté, d’autres effets (immunité, maladies chroniques) restent débattus, ce qui freine parfois les décideurs.
On se retrouve donc avec une politique de santé publique souvent minimaliste : un peu de supplémentation pour les nourrissons, un peu pour les personnes âgées… mais rarement une vision structurée, chiffrée, intégrée dans les stratégies nationales.
Un enjeu aussi pour les entreprises et les assureurs
La carence en vitamine D n’impacte pas seulement les budgets de la Sécurité sociale ou des assurances maladie publiques. Elle concerne aussi directement :
- Les employeurs, via l’absentéisme et la baisse de productivité.
- Les assureurs privés, via les indemnisations et les dépenses de santé supplémentaires.
- Les organismes de prévoyance, via les dossiers d’invalidité et de dépendance.
Pour ces acteurs, des programmes de prévention ciblés peuvent être stratégiquement rentables.
Exemples d’actions possibles :
- Intégrer la vitamine D dans les bilans de santé des salariés à risque (travailleurs de nuit, employés en intérieur, personnel en EHPAD, etc.).
- Négocier des campagnes de supplémentation encadrées avec des partenaires de santé au travail.
- Soutenir des programmes de sensibilisation à la nutrition et à l’exposition au soleil.
- Inclure des objectifs de prévention de la fragilité osseuse dans les politiques de RSE, notamment pour les entreprises très féminisées ou vieillissantes.
Les acteurs privés disposent ici d’un levier double : réduire leurs propres coûts assurantiels et sociaux, tout en améliorant la santé globale de leurs équipes.
Vitamine D, vieillissement démographique et soutenabilité des systèmes de santé
En Europe comme ailleurs, la population vieillit. Plus de seniors, c’est mécaniquement :
- plus de risques de chutes,
- plus de fractures,
- plus de dépendance,
- plus de pression sur les budgets de santé et de retraite.
Dans ce contexte, ignorer les carences en vitamine D2/D3 revient à laisser croître un multiplicateur de coûts sur une population déjà vulnérable. Pas idéal pour la soutenabilité à long terme.
À l’inverse, une politique ambitieuse sur la vitamine D pourrait :
- réduire le nombre de fractures et de chutes graves,
- retarder l’entrée en dépendance d’une partie des personnes âgées,
- limiter la hausse des dépenses de santé liées à la fragilité osseuse,
- améliorer la qualité de vie, ce qui n’est pas neutre pour l’acceptabilité sociale des réformes de santé.
Autrement dit, derrière un simple dosage 25-OH vitamine D2/D3 se joue une partie de la résilience financière des systèmes de santé face au choc démographique.
Que peuvent faire les décideurs dès maintenant ?
Sur le plan stratégique, plusieurs leviers sont immédiatement actionnables.
- Mieux cibler le dépistage : au lieu de doser la vitamine D à tout-va, concentrer les bilans 25-OH D sur les populations à haut risque, là où le retour sur investissement est le plus élevé.
- Standardiser la supplémentation : proposer des protocoles clairs et simples pour la supplémentation chez les seniors, les personnes institutionnalisées, certains patients chroniques.
- Encourager l’enrichissement alimentaire : via des incitations ou des encadrements réglementaires pour développer une offre de produits enrichis, notamment pour les publics à risque.
- Financer des études médico-économiques : afin de quantifier précisément les économies potentielles dans chaque système de santé national, et de convaincre les décideurs budgétaires.
- Intégrer la vitamine D dans les plans de prévention nationaux : non comme un gadget nutritionnel, mais comme un axe clé de la lutte contre la dépendance et les fractures.
La difficulté n’est pas tant technique que politique : accepter qu’un micro-nutriment « peu glamour » soit en réalité un levier macro-économique sérieux.
Un indicateur biologique aux répercussions macro-économiques
Un taux de 25-OH vitamine D2/D3 faible, sur un compte rendu de laboratoire, semble anodin. Quelques chiffres, une courbe de référence, parfois un commentaire standardisé. Rien de spectaculaire.
Mais mis bout à bout, ces résultats individuels composent un tableau collectif préoccupant :
- Un fardeau financier important pour les systèmes de santé, en grande partie évitable.
- Une perte de productivité pour les économies nationales.
- Une aggravation de la dépendance dans des sociétés qui vieillissent vite.
- Une occasion manquée de démontrer que la prévention peut être un outil puissant de maîtrise des dépenses.
Pour les décideurs publics, les managers, les assureurs et les professionnels de santé, la question n’est donc plus de savoir si la vitamine D est « à la mode » dans les médias. La vraie question est : combien de temps peut-on encore se permettre d’ignorer un risque aussi diffus, aussi fréquent… et aussi coûteux ?
La réponse, elle, ne se trouvera pas seulement dans les laboratoires. Elle se jouera aussi dans les arbitrages budgétaires, les stratégies de prévention et la capacité des systèmes à investir aujourd’hui pour économiser demain.

