Est ce que le papillomavirus est un cancer : implications économiques pour les systèmes de prévention et d’assurance santéEst ce que le papillomavirus est un cancer : implications économiques pour les systèmes de prévention et d’assurance santé

Le papillomavirus humain (HPV) n’est pas un cancer. C’est un virus. Mais c’est un virus qui alimente une industrie entière de soins, de prévention et d’assurance santé. Et derrière la question médicale se cache une vraie question économique : combien coûte le HPV aux systèmes de santé, et combien peut-on économiser en misant sur la prévention ?

En France comme ailleurs, le HPV est un cas d’école : un agent infectieux très répandu, bien documenté, avec un vaccin efficace… mais une prévention encore incomplète. Pour les systèmes d’assurance santé, c’est un test grandeur nature de leur capacité à investir dans le long terme.

HPV : virus bénin… jusqu’au jour où il ne l’est plus

Sur le plan médical, les choses sont relativement claires.

Le papillomavirus humain est un virus sexuellement transmissible. On estime qu’environ 80 % des adultes sexuellement actifs seront exposés au HPV au cours de leur vie. La plupart des infections disparaissent spontanément. Invisible, indolore, gratuite… pour le système de santé, à ce stade, le coût est quasi nul.

Le problème, ce sont les infections persistantes, en particulier par certains génotypes dits « à haut risque » (comme les types 16 et 18). Ce sont eux qui peuvent, à long terme, provoquer des lésions précancéreuses, puis des cancers.

Quelques ordres de grandeur :

  • Environ 99 % des cancers du col de l’utérus sont liés au HPV.
  • Le HPV est aussi impliqué dans certains cancers de l’anus, de la gorge, du pénis et de la vulve.
  • En 2020, on estimait à environ 604 000 les nouveaux cas de cancer du col de l’utérus dans le monde, pour environ 342 000 décès (données GLOBOCAN).

Le HPV n’est donc pas un cancer, mais dans les faits, il est le carburant de plusieurs filières de cancérologie. C’est là que l’économie entre en jeu.

Un virus qui coûte cher aux systèmes de santé

Pour un système de santé, le HPV représente une accumulation de coûts successifs, sur des années :

  • dépistage (frottis, tests HPV) ;
  • prise en charge des lésions précancéreuses ;
  • traitement des cancers avérés ;
  • suivi au long cours, séquelles, arrêts de travail.

Les coûts sont à la fois directs (soins) et indirects (perte de productivité, décès prématurés). On entre dans la logique classique de l’« investir tôt ou payer tard ».

Pour donner une idée de l’ordre de grandeur, plusieurs études internationales estiment que le coût moyen du traitement d’un cancer du col de l’utérus, dans un pays à revenu élevé, se situe facilement dans une fourchette de plusieurs dizaines de milliers d’euros par patiente, en additionnant chirurgie, radiothérapie, chimiothérapie, hospitalisations et suivis. Sans compter l’impact économique des années de vie perdues, souvent en âge d’activité professionnelle.

À l’échelle d’un pays, la facture devient macro-économique. Les autorités de santé publique ne regardent plus le HPV comme un « simple virus », mais comme une ligne de budget sur plusieurs décennies.

Vaccination et dépistage : coût immédiat, économies différées

Face à ce constat, deux leviers principaux : vacciner et dépister. C’est le duo gagnant sur le papier, mais il suppose de changer la logique de financement.

La vaccination HPV, elle, coûte tout de suite. Le cancer, lui, coûte plus tard. Entre les deux, il y a parfois 15 à 25 ans. Pour un assureur, un système de protection sociale ou un décideur politique, ce décalage temporel complique les arbitrages.

Pourtant, les modèles économiques sont assez convergents :

  • La vaccination des adolescentes (et désormais des adolescents) est systématiquement jugée « coût-efficace » dans les pays à revenu élevé, surtout lorsque le prix du vaccin est négocié et que la couverture vaccinale est élevée.
  • Le dépistage régulier (par frottis ou test HPV) permet d’attraper les lésions avant le cancer invasif, avec des coûts de traitement bien plus faibles.
  • La combinaison vaccination + dépistage optimise le rapport coût/bénéfice en réduisant le nombre de cancers et en allégeant les dispositifs de dépistage sur le long terme.

C’est là que se joue la bataille économique : dépenser aujourd’hui pour épargner demain. Et tout le monde n’a pas la même capacité – ou la même volonté – de jouer ce jeu de long terme.

Le cas français : une stratégie de prévention qui se cherche encore

En France, la situation est paradoxale. On dispose d’un système de santé solidaire, d’un vaccin efficace, de recommandations claires… mais d’une couverture vaccinale longtemps restée faible.

Jusqu’à récemment, la vaccination HPV était largement en dessous des objectifs. Là où certains pays nordiques dépassent 70–80 % de couverture, la France est longtemps restée en retrait, en partie du fait de controverses et d’une méfiance vaccinale persistante.

Résultat : le pays continue de financer des traitements coûteux pour des cancers largement évitables à terme.

Les choses évoluent toutefois :

  • La vaccination est recommandée pour les filles et les garçons, à partir de 11 ans.
  • Depuis 2023, une campagne de vaccination en milieu scolaire (classe de 5e) a été lancée.
  • Le dépistage du cancer du col de l’utérus est organisé et pris en charge à 100 % selon certaines modalités.

Pour l’Assurance Maladie, c’est un pari financier : augmenter les dépenses de prévention aujourd’hui, dans l’espoir de réduire fortement les dépenses de cancérologie dans 10 à 20 ans. Ce pari repose sur plusieurs hypothèses fortes :

  • que les jeunes se fassent effectivement vacciner ;
  • que les rappels organisationnels (scolarité, médecins traitants, campagnes) fonctionnent ;
  • que la population adhère au dépistage.

Si l’une de ces briques manque, le modèle économique perd une partie de son intérêt.

Assureurs santé : le HPV comme test de leur stratégie de prévention

Pour les assureurs privés (complémentaires santé, mutuelles, assureurs internationaux), le HPV est un cas très instructif.

D’un côté, la prévention (prise en charge des vaccins, sensibilisation, programmes dédiés) représente un coût immédiat. De l’autre, la non-prévention expose à des sinistres élevés, sous forme de prises en charge lourdes.

Deux logiques se croisent :

  • Logique de court terme : limiter les dépenses de prévention, mieux segmenter les risques, éventuellement ajuster les primes ou les garanties pour les populations jugées « à risque ».
  • Logique de long terme : investir dans la vaccination, encourager le dépistage, fidéliser les assurés et réduire le coût moyen des sinistres futurs.

Un élément complique le raisonnement : la mobilité des assurés. Un assureur qui finance aujourd’hui la vaccination d’un jeune de 12 ans n’est pas certain de le compter encore dans son portefeuille lorsqu’il aura 35 ou 40 ans. Une partie du bénéfice économique de la prévention peut donc « bénéficier » à un autre acteur du marché… ou au système public.

À l’inverse, le régime général (type Assurance Maladie en France), par nature longitudinal, a tout intérêt à ce raisonnement intergénérationnel : l’assuré d’aujourd’hui sera encore dans le système dans 20 ans. C’est là une incitation structurelle à investir dans la prévention.

Productivité, absentéisme, image de marque : l’angle entreprises

Pour les entreprises, le HPV peut sembler lointain. Pourtant, la question a aussi une dimension business.

Un cancer du col de l’utérus ou un cancer ORL lié au HPV ne se traduit pas uniquement par un coût pour l’Assurance Maladie. Il implique souvent pour l’entreprise :

  • des arrêts de travail longs ;
  • une désorganisation d’équipe ;
  • des coûts indirects de remplacement et de formation ;
  • un impact humain fort, qui peut affecter le climat social.

De plus en plus de grands groupes intègrent des programmes de prévention santé dans leurs politiques RH ou QVT (qualité de vie au travail). La vaccination HPV pourrait à terme entrer dans ce type de packs, au même titre que la vaccination grippe dans certains secteurs.

Pour une entreprise, l’équation est simple : un salarié en bonne santé coûte, sur la durée, moins cher qu’un salarié exposé à des risques évitables. La difficulté, là encore, réside dans le délai entre l’investissement (information, facilitation d’accès, prise en charge éventuelle) et les bénéfices.

Prévenir un cancer… avant même qu’il existe : un défi culturel

Au-delà des chiffres, la question du HPV met aussi en lumière un enjeu culturel, qui a un impact économique direct : sommes-nous prêts à payer pour éviter un cancer qui, par définition, ne surviendra jamais ?

La difficulté de la prévention, c’est qu’elle est victime de son succès : plus elle marche, moins on « voit » le problème. Si les cancers liés au HPV diminuent drastiquement dans 20 ans, il sera tentant d’attribuer ce résultat à d’autres facteurs… ou d’oublier l’investissement consenti aujourd’hui.

Les systèmes d’assurance doivent donc faire un travail de pédagogie, y compris économique. Expliquer, chiffres à l’appui, qu’un vaccin à quelques dizaines d’euros permet de réduire un risque de traitement à plusieurs dizaines de milliers d’euros, plus des années de productivité perdues, n’est pas un luxe. C’est un argument de gestion.

Vu sous cet angle, la question initiale « le papillomavirus est-il un cancer ? » masque la vraie interrogation : quel prix sommes-nous prêts à payer pour qu’il n’y ait pas de cancer ?

Des inégalités qui coûtent cher

Autre dimension économique : les inégalités d’accès à la prévention. Dans beaucoup de pays, et y compris en France, les populations les plus fragiles socialement sont souvent celles qui ont le moins accès ou le moins recours à :

  • la vaccination ;
  • l’information fiable ;
  • les campagnes de dépistage.

Ce sont pourtant souvent ces mêmes populations qui concentrent les risques et, in fine, les coûts médicaux lourds.

Pour un système public, ne pas cibler ces inégalités, c’est accepter des poches de surcoût à moyen terme. D’un point de vue économique, investir dans des campagnes de prévention structurées (notamment via l’école ou les centres de santé de proximité) est généralement plus rentable que gérer, plus tard, des vagues de cancers évitables.

Pour les assureurs privés, la question est plus délicate. Aller vers des publics plus précaires n’est pas toujours perçu comme « rentable » à court terme. Pourtant, sur certains segments (assurance collective, contrats d’entreprise, marchés publics), la capacité à démontrer une stratégie de prévention inclusive devient un argument concurrentiel.

Quelles pistes pour optimiser l’équation économique du HPV ?

Si l’on se place dans la peau d’un décideur – ministre, directeur d’assurance, DRH, dirigeant d’entreprise – quelques axes se dégagent.

  • Stabiliser la stratégie vaccinale : éviter les va-et-vient de recommandations, sécuriser les approvisionnements, négocier les prix et garantir une lisibilité sur plusieurs années.
  • Systématiser la vaccination en milieu scolaire : c’est un levier puissant pour augmenter la couverture sans dépendre uniquement de la motivation individuelle ou de la disponibilité des familles.
  • Renforcer le dépistage intelligent : utiliser les tests HPV, adapter la fréquence selon l’âge et le statut vaccinal, et mieux cibler les populations peu dépistées.
  • Mesurer et communiquer le ROI : produire des bilans chiffrés réguliers sur les économies estimées (cancers évités, hospitalisations réduites), pour justifier politiquement et socialement les investissements de prévention.
  • Impliquer les entreprises et les assureurs : cofinancement de campagnes, prise en charge complémentaire des vaccins, sensibilisation via les services de santé au travail.

Autrement dit, faire du HPV non pas seulement un sujet médical, mais un cas d’école de gouvernance économique de la santé.

En filigrane : une nouvelle façon de penser le risque santé

Le papillomavirus n’est pas un cancer, mais il questionne notre rapport au risque. Il pousse les systèmes de santé, les assureurs et les entreprises à sortir d’une logique purement curative pour basculer sur un modèle d’anticipation.

La vraie rupture, ce n’est pas technologique – le vaccin existe, les tests aussi. Elle est organisationnelle et financière. Accepter de financer massivement la prévention, c’est reconnaître que la maladie évitée a, elle aussi, une valeur économique mesurable.

Derrière les débats médicaux et les polémiques vaccinales, la ligne de fond est claire : pour les systèmes de prévention et d’assurance santé, ignorer le HPV coûte cher. Très cher. L’affronter en amont, c’est choisir d’investir dans des décennies de dépenses évitées.

La question n’est donc plus vraiment de savoir si le papillomavirus est un cancer. La question est de savoir combien de cancers liés au HPV nous accepterons encore de financer… alors que nous avons déjà, en main, les outils pour en éviter une grande partie.

By Nico