Les pfas c'est quoi : conséquences pour l’industrie, les collectivités et les finances publiquesLes pfas c'est quoi : conséquences pour l’industrie, les collectivités et les finances publiques

Les PFAS sont partout. Dans l’eau, dans les emballages, dans les textiles, dans le sang de la quasi-totalité de la population mondiale. Longtemps considérés comme des produits miracles de la chimie moderne, ils deviennent aujourd’hui un risque économique, juridique et budgétaire majeur.

Pour les industriels, les collectivités et les finances publiques, la question n’est plus de savoir si le sujet va coûter cher. Mais combien. Et à qui.

PFAS : de quoi parle-t-on exactement ?

Les PFAS (pour per- et polyfluoroalkyl substances) sont une famille de plus de 4 700 composés chimiques. Leur point commun : des liaisons carbone–fluor extrêmement stables. En clair : ça ne se dégrade presque pas.

On les appelle parfois « polluants éternels ». Une fois dans l’environnement, ils y restent des décennies, voire plus. On les retrouve :

  • dans les mousses anti-incendie ;
  • dans les revêtements antiadhésifs (type Teflon) ;
  • dans certains textiles « déperlants » ;
  • dans des emballages alimentaires résistants aux graisses ;
  • dans des applications industrielles de haute performance (semi-conducteurs, automobile, aéronautique, médical, etc.).

Cette performance technique a un prix. Un prix sanitaire, environnemental… mais aussi économique et budgétaire.

Un problème sanitaire et environnemental… qui se traduit en coûts

Les PFAS s’accumulent dans l’organisme. Ils sont associés à différents risques :

  • troubles hormonaux ;
  • certains cancers ;
  • effets sur le système immunitaire ;
  • problèmes de fertilité ;
  • faible poids de naissance, etc.

L’Agence européenne des produits chimiques (ECHA) et plusieurs agences nationales classent certains PFAS parmi les substances extrêmement préoccupantes (SVHC). La pression réglementaire monte donc rapidement.

Côté environnement, les PFAS :

  • se dispersent dans l’eau et les sols ;
  • se transportent sur de longues distances ;
  • contaminent les chaînes alimentaires (poissons, produits agricoles) ;
  • nécessitent des technologies de traitement coûteuses et complexes.

Ce cadre posé, la question qui intéresse ici est simple : comment cette contamination « invisible » se traduit-elle, très concrètement, pour l’industrie, les collectivités et les finances publiques ?

Pour l’industrie : un risque triple – réglementaire, financier, réputationnel

Les entreprises sont à la fois utilisatrices, émettrices… et parfois déjà cibles potentielles de litiges. Trois dimensions se dessinent.

Un mur réglementaire en approche

Au niveau européen, une restriction globale des PFAS est en préparation dans le cadre du règlement REACH. Cinq pays (Allemagne, Danemark, Pays-Bas, Norvège, Suède) ont déposé une proposition visant à interdire, à terme, la plupart des usages non essentiels.

Conséquences probables pour les industriels :

  • fin programmée de nombreux usages « de confort » (textiles déperlants grand public, certains emballages, certains cosmétiques) ;
  • durcissement des exigences dans les usages professionnels jugés « essentiels » (médical, défense, certaines industries de pointe) ;
  • obligation de substitution pour de nombreuses applications, avec des délais relativement serrés ;
  • renforcement des obligations de traçabilité dans la chaîne de valeur.

Pour les entreprises, cela signifie des coûts de R&D, de requalification des produits, de re-certification… et parfois de remise en question de modèles d’affaires entiers.

Des risques juridiques et indemnitaires en forte hausse

Aux États-Unis, la jurisprudence PFAS donne une idée de ce qui pourrait arriver en Europe. Des géants comme 3M ou DuPont ont déjà consenti à des accords transactionnels de plusieurs milliards de dollars pour des contaminations d’eau potable.

En Europe, les premiers contentieux montent. En Belgique, le scandale autour de l’usine 3M de Zwijndrecht a déjà entraîné :

  • des restrictions de consommation de produits agricoles locaux ;
  • un vaste plan de dépollution partiellement à la charge de l’industriel ;
  • des indemnisations pour les riverains.

En France, le cas de Pierre-Bénite, près de Lyon (usine Arkema), a mis le sujet à l’agenda médiatique et politique. Les associations et riverains s’organisent. Les collectivités commencent à se retourner vers les industriels pour chercher des responsabilités… et donc des cofinancements.

Pour les entreprises, le risque est clair :

  • actions collectives (ou assimilées) de riverains ;
  • poursuites pénales en cas d’infraction avérée à la réglementation ;
  • obligation de participer financièrement à des opérations de dépollution très coûteuses ;
  • risque de suspension ou d’arrêt d’installations.

Un enjeu d’image… qui se chiffre

Les PFAS sont devenus un sujet médiatique « toxique ». Pour une marque, être associée à des « polluants éternels » a un coût réputationnel difficilement quantifiable, mais bien réel.

On l’a vu avec certains grands noms de l’outdoor ou du textile qui ont dû réagir en urgence, sous la pression des ONG et des consommateurs, pour annoncer des gammes « PFAS-free ».

Ce coût se matérialise par :

  • des relancements produits précipités ;
  • des campagnes de communication corrective ;
  • une complexification des achats (nouveaux fournisseurs, nouvelles certifications) ;
  • des pertes temporaires de parts de marché.

À l’inverse, les entreprises qui anticipent et communiquent tôt sur la sortie des PFAS peuvent en faire un avantage concurrentiel. Mais cela suppose des investissements dès maintenant.

Pour les collectivités : eau potable, sols, urbanisme… et confiance des habitants

Les communes, intercommunalités et régions se retrouvent en première ligne, souvent malgré elles. Non pas parce qu’elles ont produit des PFAS, mais parce qu’elles doivent gérer leurs effets visibles : la qualité de l’eau, des sols, de l’air… et les inquiétudes des citoyens.

La bombe à retardement de l’eau potable

L’un des premiers fronts, c’est l’eau. En France, un plan de surveillance renforcé des PFAS dans les eaux destinées à la consommation humaine a été lancé. Résultat : de nombreux captages présentent des concentrations mesurables, parfois au-dessus des futures valeurs guides.

Conséquences pour les collectivités et les syndicats d’eau :

  • multiplication des analyses et campagnes de surveillance ;
  • investissements dans des technologies de traitement spécifiques (charbon actif, résines, voire osmose inverse) ;
  • fermeture ou interconnexion de captages trop contaminés ;
  • coûts d’exploitation à la hausse, donc pression sur les tarifs de l’eau.

Un rapport de l’ONG CHEM Trust estime que la facture potentielle de traitement des PFAS dans l’eau potable, à l’échelle européenne, pourrait se chiffrer en dizaines de milliards d’euros sur les prochaines décennies. Qui paiera ? La question est encore largement ouverte.

Pollutions des sols et enjeux d’aménagement

Les PFAS ne concernent pas que l’eau. Les sols à proximité de certaines industries, aéroports (mousses anti-incendie), casernes de pompiers, polygones d’essais peuvent être contaminés.

Impact direct pour les collectivités :

  • blocage ou renchérissement de projets d’aménagement ;
  • nécessité de diagnostics approfondis avant de construire (écoles, logements, équipements publics) ;
  • coûts de dépollution prohibitifs qui peuvent rendre certains projets tout simplement non viables.

Dans certains cas, des maires se retrouvent face à des choix difficiles : interdire la consommation de produits locaux ? Renoncer à des projets sur des terrains déjà acquis ? Affecter d’autres usages, moins sensibles, mais moins rentables ?

Communication de crise et confiance sanitaire

À partir du moment où des PFAS sont détectés au-dessus de certaines valeurs, la collectivité doit décider : faut-il communiquer, comment, jusqu’où ?

Cette gestion de l’information a un coût :

  • réunions publiques, lignes téléphoniques dédiées, supports d’information ;
  • accompagnement des professionnels de santé locaux ;
  • études complémentaires (campagnes de mesure, biosurveillance) ;
  • dispositifs exceptionnels (distribution d’eau embouteillée, restrictions temporaires).

Sans oublier l’impact politique : pour un élu local, être perçu comme passif ou dans le déni sur un sujet sanitaire est potentiellement explosif. Ce risque politique accélère souvent les décisions d’investir… même quand la responsabilité juridique de la collectivité est minime.

Pour les finances publiques : un nouveau « trou noir » budgétaire en formation

La facture PFAS ne se limite pas à quelques stations d’épuration modernisées. Elle touche potentiellement tous les niveaux de la dépense publique : État, agences, collectivités, systèmes de santé, justice.

Dépollution : des montants difficilement soutenables

Les opérations de dépollution impliquant des PFAS sont particulièrement coûteuses. Les technologies existent, mais elles sont :

  • énergivores ;
  • complexes à mettre en œuvre ;
  • et souvent partielles (on « transfère » parfois la pollution plutôt qu’on ne la détruit totalement).

Un chiffre indicatif : aux États-Unis, les estimations du coût total de nettoyage des PFAS dans les systèmes d’eau potable oscillent entre 200 et 400 milliards de dollars sur 30 ans. L’Europe suit une trajectoire similaire, même si les chiffrages sont encore incertains.

En France, même sans chiffres consolidés, on voit déjà plusieurs postes de dépenses émerger :

  • investissements des agences de l’eau pour accompagner les collectivités dans la mise à niveau des installations ;
  • budgets de surveillance et de recherche des agences sanitaires ;
  • dispositifs d’accompagnement des populations exposées.

Le principe « pollueur-payeur » devrait, en théorie, faire porter l’essentiel de l’effort sur les industriels responsables. En pratique, les contentieux sont longs, complexes, et tous les pollueurs ne sont pas solvables, ni toujours identifiables.

Résultat : une part significative de la facture retombe, au moins dans un premier temps, sur les finances publiques.

Coûts sanitaires différés mais bien réels

Les impacts sanitaires des PFAS se traduisent aussi, à terme, en coûts pour les systèmes de santé :

  • sur-risques de certains cancers ;
  • pathologies chroniques ;
  • suivis médicaux spécifiques pour certaines populations exposées.

Des études américaines ont tenté de chiffrer ce « coût sanitaire ». Une publication dans la revue Exposure and Health estimait, en 2022, le coût annuel des expositions aux PFAS aux États-Unis entre 5,5 et 62 milliards de dollars, en intégrant soins, pertes de productivité et impacts sociaux.

En Europe, les ordres de grandeur devraient être comparables, rapportés à la population. Ce sont des coûts diffus, difficiles à attribuer, mais ils pèsent sur l’assurance maladie, donc in fine sur la collectivité.

Contentieux : un nouveau champ pour le droit de l’environnement

Les PFAS ouvrent un nouveau chapitre pour le contentieux environnemental :

  • recours d’associations contre l’État pour inaction ou carence fautive ;
  • actions contre les industriels pour réparation de dommages environnementaux ;
  • litiges entre collectivités et exploitants de sites (qui paie quoi, quand, comment ?).

Ces procédures ont un coût direct (honoraires, expertises, indemnisations) et un coût indirect : incertitude, blocage de projets, image dégradée d’un territoire.

Pour les finances publiques, l’enjeu est double :

  • éviter de se retrouver systématiquement en première ligne financière ;
  • structurer des mécanismes permettant de faire contribuer les acteurs privés sans paralyser l’investissement.

Quelles stratégies pour les entreprises ?

Pour l’industrie, l’inertie devient risquée. Plusieurs axes se dessinent pour limiter l’exposition économique au risque PFAS.

  • Cartographier les usages : identifier où, comment et à quelles quantités les PFAS interviennent dans les produits, procédés et chaînes d’approvisionnement.
  • Prioriser les substitutions : commencer par les usages les plus exposés médiatiquement et réglementairement (consommation grand public, contact alimentaire, rejets aqueux importants).
  • Travailler la traçabilité : être en mesure de documenter les flux, les quantités, les expositions, en prévision d’éventuels contrôles ou litiges.
  • Anticiper le dialogue avec les territoires : mieux vaut discuter dès maintenant avec les collectivités et agences de l’eau, plutôt que d’attendre le premier arrêté préfectoral ou la première plainte.
  • Intégrer le risque dans la stratégie : pour certains secteurs, le PFAS n’est pas un sujet périphérique. C’est un déterminant de compétitivité à moyen terme.

Autrement dit : le sujet ne peut plus être laissé à la seule « compliance ». Il touche directement le produit, l’image, et potentiellement le bilan.

Quelles marges de manœuvre pour les collectivités ?

Les collectivités ont des moyens limités, mais elles ne sont pas condamnées à subir. Plusieurs leviers existent.

  • Connaître son territoire : cartographier les sources potentielles (sites industriels, aéroports, casernes, anciennes activités) et croiser avec les captages d’eau, les projets d’aménagement.
  • Sécuriser l’eau potable : prioriser les captages stratégiques, planifier les investissements, mutualiser au niveau intercommunal ou syndical.
  • Intégrer le risque PFAS dans l’urbanisme : conditionner certains projets à des diagnostics, éviter les usages sensibles sur des zones potentiellement contaminées.
  • Structurer le dialogue avec les industriels : conventions, chartes, plans d’action partagés. L’objectif : éviter que tout se règle à chaud, devant les tribunaux, quand la crise médiatique est là.
  • Préparer la communication : disposer en amont de messages clairs, de protocoles d’information, pour éviter la panique et le sentiment de dissimulation.

Le nerf de la guerre restera le financement. D’où l’importance, pour les élus, de se positionner tôt dans les discussions nationales et européennes sur la répartition des coûts.

Vers un nouveau contrat entre industrie, territoires et État ?

Les PFAS cristallisent une tension centrale de l’économie contemporaine : qui paie le coût réel des performances technologiques dont tout le monde a profité pendant des décennies ?

Les industriels ont bénéficié de ces molécules pour proposer des produits plus performants. Les consommateurs les ont plébiscités. Les pouvoirs publics ont, longtemps, laissé faire ou regardé ailleurs.

Le « temps de la facture » arrive. Il sera long, conflictuel et, souvent, frustrant. Mais il peut aussi être l’occasion de redéfinir, plus clairement, les responsabilités :

  • règles du jeu plus strictes en amont (autorisation de mise sur le marché, évaluation systématique des effets à long terme) ;
  • mécanismes financiers spécifiques (fonds dédiés, contributions sectorielles, assurances environnementales obligatoires) ;
  • obligation de transparence accrue sur la présence de PFAS dans les produits et procédés.

Pour les entreprises comme pour les collectivités, l’enjeu est désormais d’anticiper. Car sur le sujet PFAS, ceux qui attendront les contraintes pour bouger risquent de payer plus cher, plus vite, et avec moins de marge de manœuvre.

By Nico